Témoignages

Incorporés à la RAD

Incorporé au R.A.D avec mon ami Alfred Schwartz le 10 juin 1944 à Waldfischbach. Récit de Jean-Pierre Letzelter

Le Reichsarbeitsdienst (abréviation, RAD Service du travail du Reich) était une organisation de l’appareil du pouvoir national-socialiste du Troisième Reich des années 1933 à 1945. A partir de juin 1935 chaque jeune homme et jeune fille étalent obliges d'effectuer un service de travail de six mois qui précédait le service militaire.

Première évasion

La première évasion eut lieu le 30 avril 1944 le soir à 23 heures. Arrêté en passant a Pirmasens lors d'une « Fliegeralarm » (alerte aérienne).

Capturés

Reconduit par la gendarmerie au camp de Waldfischbach ou toute la compagnie était rassemblée pour nous accueillir. L' Oberfeldwebel (adjudant-chef) nous présente comme des déserteurs en disant : « Schaut euch mal diese Krucken da an, sie werden als Kriegsverbercher verurteilt » (Regardez ces boiteux, ils vont être juges par le conseil de guerre). Ensuite nous avons été enfermes dans une petite pièce dont les fenêtres étaient clouées avec des planches. Nous devions dormir à mener le sol sur une simple couverture, on nous traitait comme des criminels.

Le 10 septembre 1944 le camp a été transféré à Kaiserslautern car les allie s se rapprochaient. Enfermés dans une chambre tous les deux pendant 2 jours sans que personne ne s'occupe de nous, presque rien à manger et un seau pour les toilettes. La belle vie quoi !

Après quelques jours grande chance, un beau dimanche matin, on vient nous chercher pour nettoyer une écurie pour 10 chevaux qui n'a pas été nettoyée depuis bien longtemps. Nous étions occupés pour la journée

Quelques jours après, changement de camp a Russheim (près de Germersheim) en Outre-Rhin.

Le lendemain nous avons changé de métier tous les deux. Alfred fut nommé « Schweine Ordonanz » (préposé aux cochons) : il devait donc s'occuper d’une dizaine de cochons. Quant à moi, j'ai eu plus de chance puisqu'on me nomma aide cuisinier : corvée de patates, nettoyer les légumes et surtout une cuisine « picobello » toujours d'une propreté irréprochable. Pas trop mal ! On avait au moins à manger. Toujours sans garde, on nous confia, quelques jours plus tard, le nettoyage du bureau de l'Oberfeldwebel. J'avais repéré dès le premier jour les feuilles de permission et le tampon qui va avec, qui me permettra le jour venu de rentrer à la maison. Pour importe quelle petite bricole il ouvrait la porte du bureau, qui devait toujours être nickel, et criait : «Arbeitsmann Hans sofort in's Bureau». Comme j’étais un garçon bien éduqué et obéissant tout s'est bien passé entre nous. Un jour j'ai tout de même réussi à me procurer (illégalement) une feuille de permission, et cerise sur le gâteau, à mettre le tampon du camp. Ce vol nous a beaucoup servi pour notre deuxième évasion.

Alfred avait beaucoup de travail avec sa troupe de cochons. Un cheval était mis à sa disposition pour chercher les restes de cuisine dans les camps aux alentours et à faire des promenades en calèche.

Tout cela ne dura pas longtemps.

Le 11 novembre 1944, Stellungs Befehl dans la Wehrmacht (ordre de mission dans la force de défense) a Kuestrin.

Le 12 novembre 1944, déménagement à Schifferstadt pour rejoindre le convoi en train pour Kuestrin (Brandebourg a l'est de Berlin) Le convoi était composé de jeunes qui venaient de 4 semaines de permission après le Arbeitsdienst, donc tous en civil. Comme nous étions des évadés, nous n'avions pas droit à cette permission et on nous a incorpore directement dans l’armée en tenue de I'Arbeitsdienst.

Le 13 novembre, départ sous surveillance armée puisque j’étais déserteur. Depuis la gare de Schifferstadt avec le mot d’ordre : « Jeder Flucht versuch wird erschossen » (Chaque tentative d’évasion sera fusillée). Arrivée à Ludwigshaffen, changement de train pour Mannheim.

Arrivée à Mannheim, la sirène de la Fliegeralarm retentit, tout le monde dans le Luftschutzkeller (abri anti-aérien) C'est alors le moment de risquer le tout pour le tout et de s’évader.

La deuxième évasion

Avec l'autorisation d'aller aux toilettes, je suis parti à pied avec camarades laissant notre petit paquetage sur place en direction ... de "la liberté”.

En cours de route on nous demandait d’où on vient, ou on va, la réponse était toujours la même : Versprenckte Truppen, wir suchen unsere Einheit ! (Notre régiment est éclaté, nous recherchons notre unité)

Après 2 heures de marche nous sommes arrivés à Schwetzingen. Là, des couturières nous ont offert le café. Notre préoccupation principale était le retour vers la France. Après avoir consulté les horaires des trains en partance pour I‘Alsace nous constatons que le premier était à 19 h.

Au moment de monter dans le train la Feldgendarmerie faisait des contrôles et c'est là que la permission volée nous a sauvé la vie. Je leur ai brièvement montré la permission et ils nous ont dit de monter rapidement dans le train. II faut savoir que c’était la cohue sur le quai de gare. Nous avons passé la nuit dans la gare de Wissembourg pour prendre le train de 7h pour Haguenau.

Mais à Haguenau, plus aucun train de correspondance pour Bitche avant le soir. Nous décidons de continuer par la route. Parti de la gare à pied nous avons déjeuné dans une boulangerie près du pont, route de Bitche, à Haguenau. C'est la boulangère qui se tenait devant la porte qui nous a demandé d’où nous venions et où nous allions. Quand elle a entendu notre histoire elle a compati car elle attendait un fils qui, lui aussi, s’était évadé et elle nous a offert le petit déjeuner.

Là un chauffeur routier nous embarqua jusqu’à l'usine De Dietrich de Reichshoffen.

De là, deux copains, Oberhauser de St Louis et Stenger de Goetzenbruck, sont rentrés de leur coté, à pied.

Alfred Schwartz et moi-même, originaires d'Eguelshardt sommes restés chez une tante à Reichshoffen jusqu'au soir pour rentrer en train.

Au croisement, un routier allemand s’arrêta avec un camion qui roulait au gazogène produit par un feu de bois (Holz gaz)

Le gazogène, inventé au xixe siècle, est un appareil permettant de produire un gaz combustible par pyrolyse de matières solides et combustibles : bois (gaz de bois), charbon de bois, coke, anthracite, etc. et permettant d'alimenter des moteurs dits « à gaz pauvres », des moteurs à explosion classiques ou bien des chaudières.

Ce système, sous la forme mise au point par Georges Imbert en 1920, fut utilisé en Europe, pour pallier l'absence de carburant automobile pendant la Seconde Guerre mondiale. C'est en effet un appareil simple à fabriquer, ne demandant que des matériaux faciles à se procurer. Source: https://fr.wikipedia.org/wiki/Gazog%C3%A8ne

Comme mon ami possédait un tracteur au Holzgaz il savait que ces camions n’avançaient pratiquement plus à la moindre montée. Nous décidons tout de suite de monter dans ce camion à l'insu du chauffeur en nous cachant sous la bâche en nous disant que dans la montée du Pfaffenberg,il n'y aura aucun problème pour redescendre du véhicule, Après un quart d'heure le chauffeur reprend sa route sans savoir qu'il a des passagers clandestins à son bord. Entre Niederbronn et Philippsbourg, au lieu-dit Riesthal il s’arrête pour remettre du bois dans sa machine. Comme il faisait nuit et que nous ne bougions pas, il a repris sa route sans nous voir. Nous avons pousse un grand OUF de soulagement.

Arrivés à l'entrée d'Eguelshardt, au lieu-dit «Am Kreuz», une montée et le camion ralentit. Alfred me dit « C’est le moment, on descend ! ». Aussitôt dit, aussitôt fait !

On traverse la voie ferrée et nous longeons la lisière de la forêt. Tout à coup un chien aboie près de nous, notre première pensée : « On est en fuite depuis deux jours, on est à 1 km de la maison et nous voilà pris pour la 2eme fois, dénoncés par un chien de la Gestapo ! »

Après quelques secondes de stupeur et d'immobilisation nous sommes repartis, sans un mot et sans un bruit, en longeant la forêt jusqu’à la maison d'une tante d'Alfred qui habitait au bord de la forêt.

Arrivés au niveau de la maison nous écoutons a la porte. Stupeur ! La tante Anna qui est veuve et qui vit seule parle avec un homme ! Après un bon moment cet homme, le chef de gare de Bannstein, qui louait une chambre, est parti.

Tandis que sa tante Anna fermait la porte à clé Alfred l'a appelée pour lui dire qu'on s'est évadés. Sans rentrer dans la maison, elle nous a fait comprendre qu'on devait l'attendre dans le hangar ou était stocké le bois. Elle revint revêtue d'un grand manteau et un bidon a lait dans une main. Elle partit demander à son frère qui habitait a 200m d'accompagner Alfred jusque chez ses parents qui habitaient a 600m dans le village. Alfred partit avec son oncle tandis que moi je suivis sa tante qui faisait comme si elle allait chercher du lait chez mes parents. Nous avons passé le pont gardé sans difficulté puisque les gardes la connaissaient car elle cherchait son lait tous les jours.

Les "cachés"

L'évasion était réussie mais c 'est maintenant que je courrais le plus de risques car il fallait se cacher pour ne pas être repéré et surtout pour ne pas mettre en danger mes proches. Un oncle et ses deux filles étaient venus de Thionville pour se réfugier chez mes parents car il croyait qu'a la campagne ils seraient plus en sécurité qu'à la ville. De ce fait je ne pouvais pas me montrer car les filles de 10 et 14 ans auraient pu me dénoncer sans le vouloir

Le lendemain mon frère René alla voir un garde forestier au Biesenberg chez qui j'avais beaucoup travaillé pour lui demander s'il pouvait me cacher chez lui. M. Provot était d'accord et le soir même, à 2 sur le même vélo, mon frère et moi-même avons parcouru les 6kms qui nous séparent de la maison forestière de Biesenberg.

Après un séjour de 4 semaines au Biesenberg avec Charles, un autre déserteur, je suis revenu chez mes parents. En cours de route, une rafale d'obus, tirée par les Américains, a éclatée autour de nous. Comme il y a beaucoup de petits rochers dans nos forêts nous avons pu nous camoufler en attendant le retour au calme. Après une demi-heure nous avons pu continuer pour arriver à la nuit tombante à la maison

Plus l’armée américaine avançait, plus les bombardements et les tirs d'obus s'intensifiait. Les civils se barricadaient dans les caves tandis que les soldats allemands occupaient en maître les maisons. Donc pour nous les réfractaires cachés, impossible de bouger. Sachant que les Américains avançaient, bien que lentement, depuis Niederbronn, nous avions l'espoir d’être bientôt libérés. Malheureusement les libérateurs s’arrêtent a Bannstein.

Eguelshardt reste sous contr6le allemand alors que Bannstein est sous contrôle Americain. De ce fait Eguelshardt devient le front, donc la cible des bombes et des obus des 2 adversaires. Noël approche et tout le monde croyait a une libération proche.

Malheureusement, dans la nuit du 31 décembre au premier janvier l’armée allemande lance la contre-offensive et l’armée américaine doit céder du terrain.

Une bien triste nouvelle pour les 28 réfractaires cachés du village. Une partie va rejoindre les Américains tandis que d’autres comme moi vont rester cachés sur les greniers dans des tas de foin, dans les caves sous les pommes de terre ou les betteraves. Avant Noël un 3eme déserteur (Raymond) nous a rejoints car il ne pouvait plus se cacher chez ses parents. Nous avons donc décidé de partir en forêt dans un abri que d'autres « cachés » avaient fait avant de le quitter.

Malgré le froid, très peu de feu le soir mais surtout pas en journée car la fumée aurait pu trahir notre présence. Je me rappelle qu'au mois de février il faisait froid mais ensoleillé et pour profiter au maximum de cette chaleur nous n'avons pas hésité à grimper aux arbres.

On rentrait une fois par semaine chercher de la nourriture et une grande bonbonne d' eau qu'il fallait transporter jusqu’à notre cachette par un autre chemin à chaque fois pour ne pas laisser de traces et être repérés.

La Liberation

Nous avons vécu cachés jusqu'à la libération du village le 16 mars 1945.

Lorsque nous sommes revenus au village nous avons pu constater les dégâts subis par nos maisons lors des bombardements